Article de Dominique Jacquemin extrait de la revue Le Chineur n°54 d'avril 2002

Les téléphones anciens : Une collection!

En bois, en ivoirine, en bakélite, en fer, métallique, en fonte, en tôle, à colonne, mural ou mobile, le téléphone se décline indéfiniment, surtout dans ses 40 premières années. Dès 1920, la frénésie des inventeurs diminue, d’autant que l'Etat détient le monopole des réseaux et veut imposer un modèle unique. Il mettra 23 années avant de concrétiser avec le U43. Ce poste marquera le début d’une démocratisation qui ne prendra vraiment son essor qu’à partir de 1970 avec l’automatisation. Pourtant, même après cette époque, certains villages de province seront encore connectés au réseau avec une opératrice!

De nombreux concurrents…

C’est lors de l’exposition universelle de Paris, en 1878, que l’américain Alexander Graham Bell présente son invention du téléphone en France. Avant cette date, quelques essais laborieux ont pourtant été tentés : Charles Bourseul, un employé de l’administration des télégraphes en énonce les principes en 1854 sans pour autant passer à la réalisation. En 1860, un instituteur allemand, Philippe Reiss, réalise un appareil capable de transmettre des sons musicaux au moyen de l’électricité. Même s’il passe très près de ce que sera le vrai téléphone, il n’arrivera pas à transmettre la parole à distance.

…un seul gagnant

Seuls Graham Bell et Elisha Gray, deux américains, aboutiront en 1876. Seul le nom de Bell restera, son concurrent ayant déposé son brevet deux heures trop tard", raconte Yves Lecouturier, directeur du musée de la poste de Caen. Pour la 1ère fois, un téléphone fonctionne à la foire-exposition de Philadelphie. En 1879, le 1er central téléphonique français est installé à Paris et en 1880, 3 sociétés de téléphone, créées en 1878, fusionnent et deviennent "la Société Générale des Téléphones" Cependant l’Etat, qui va très vite s’arroger le monopole, développe ses propres réseaux dès 1885 : 16 sont créés et exploités directement, contre 11 pour la SGT. En 1889, l’Etat reprend l’exploitation complète des réseaux.

Un courant inventif

Vite, les constructeurs se mettent au travail et des inventeurs se lancent dans des tentatives d’amélioration. "Parmi eux, les travaux de Clément Ader, l’aviateur, qui en 1879, crée les 1ers appareils à plaque vibrante et ses microphones à charbon puis en 1881, le"théâtrophone", retransmissions téléphoniques de spectacles et opéras que l’on écoutait à domicile ou d’une borne dans un hôtel. Il sera mis en liquidation en 1932, concurrencé par la Radio…" Parallèlement à Ader, D’Arsonval invente un récepteur électromagnétique, plus sensible que les modèles traditionnels, et une floraison d’inventeurs-constructeurs se démarquent : Berthon, Bailleux, Midé, Aboilard ainsi que dessous-traitants plus anonymes…

Plus de 70 ans pour imposer le téléphone sur toute la France

Mais la technologie française est en retard. L’idée d’un téléphone "automatique" est une invention américaine de la fin du XIXe siècle qui ne traversera l’Atlantique qu’en 1912 : la France l’expérimente un an plus tard à l’échelle d’une ville, mais l’installation sur l’ensemble du territoire ne sera effective qu’à la fin des années 70 ! Une des raisons pour lesquelles on ne trouve pas de téléphones français à cadran avant1913.

La fin du téléphone manuel français

La France accumule un retard important jusqu’aux années 70, date à laquelle Giscard d’Estaing lance un plan "téléphone" poursuivant la volonté de Pompidou, raconte Yves. Jusqu’à cette date, l’abonnement particulier se développent peu car les pouvoirs publics n’investissent pas : ce n’est pas une priorité. Pour exemple, avant le 2nde guerre mondiale, ils sont 1.5 millions, 3 millions en 1970, 71 millions en 2002, 37 pour le mobile et 34 pour le fixe. La fin du téléphone manuel intervient à la fin des années 70. La France décide alors d’étendre les capacités de son réseau. Des innovations font leur apparition comme la commutation électronique temporelle.

Tout passe par la "demoiselle du téléphone" !

En attendant la mise en place de l’automatique, on installe des cabines au sein des postes et télégraphes avec des standards manuels. Les quelques centaines d’abonnés qui se comptent avant 1900 doivent passer par un central téléphonique pour établir des communications. A ce standard, des "demoiselles du téléphone", ainsi appelées parce qu’elles devaient être célibataires et d’excellente moralité. Leur travail consiste à recevoir chaque appel d’un abonné faisant partie de son secteur. La "demoiselle" demande pour lui le correspondant souhaité et les met en relation.

Un système limité

Dès 1920, la manipulation se fait à partir d’un cadran, parfois d’un simple levier, sans magnéto. L’opératrice relève le nom de l’abonné et celui de la personne demandée et les met en contact en enfonçant une fiche dans la ligne correspondante. Mais ce système d’intermédiaires est long, pesant et souvent les abonnés perdent patience : ils reprochent aux standardistes leur mauvaise humeur, leur lenteur pour établir les communications, d’autant que même si les abonnés ne se bousculent pas, leur nombre croît, particulièrement dans le milieu professionnel.

Même De Gaulle pense que le téléphone n’est pas indispensable chez le particulier

Au début du siècle, le téléphone est à 90 % à usage professionnel, comme le mobile à ses débuts, note le directeur. Les commerces, les entrepôts, les usines ont leur téléphone, mural souvent, car il n’y a pas de bureaux pour les poser." Les particuliers sont minoritaires et le seront longtemps : même si on trouve sur les lieux de villégiatures, quelques villas équipées car les propriétaires, des industriels, souhaitaient rester en relation avec leur usine, précise Mr Lecouturier. Pour dire comme l’Etat sera longtemps rétif à développer le téléphone chez les particuliers, puisque même De Gaulle pensera qu’il n’est pas indispensable chez les ouvriers…

Du poste à colonne…

En 1902, le poste Pasquier avec bouton-pressoir tente de devenir référent. Mais c’est avec le "Marty" (1910) que les Postes et Télégraphes font une réelle tentative pour imposer un modèle. Il est le 1er qui réponde à un cahier des charges précis et est produit par plusieurs sociétés. La main mise de l’Etat sur le téléphone donne du travail à de nombreuses entreprises spécialisées. Parmi elle, la S.I.T (Société Industrielle des Téléphones) Picart-Lebas, Thomson, A.O.I.P (Association d’ouvriers en instruments de précision), Bréguet, Jackson. Le poste à colonne (1924) devient le modèle unique de l’administration des P et T, c’est le PTT24 mobile : il se compose d’une colonne de bakélite noire sur une base ronde rehaussée d’un cadran circulaire avec support horizontal pour poser les écouteurs en haut de la colonne.

…au "gros crapaud noir"

Mais le modèle qui sûrement a le plus aidé à la démocratisation du téléphone en France est le Poste Universel de 1943 ou le U43 : il est en bakélite, qui permet des techniques de moulage en raison de la pénurie de métaux en période de guerre, ressemble à une sorte de crapaud noir et est compatible avec tout type de réseau, automatique ou manuel à batterie centrale. Malgré l’arrivée de son successeur, le S63 (1963), poste en plastique gris à cadran conçu sur le même modèle, il était encore proposé par France Télécom dans les années 80. Et certains modèles sont toujours en service de nos jours : l’esprit de conservation a la vie dure en France ! 

 

Duchatel,1907

Dunyach &Leclert, modèle 1924 de luxe

PosteErricsson
Suède,1894

Grammont,1920

Jaquesson modèle luxe
1924

Marty, modèle1910
 

Wich,1915

Pasquet, 1902

Pasquet,1908

Pernet mural,poste privé vers1920

ThomsonHouston, 1920

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Mise à jour le 26 octobre 2006 par Denis Roques.